Ou un journal presque intime…

Archives de juillet, 2010

GAWRYA


expatrié : qui a quitté volontairement sa patrie.

immigré : Qui a quitté son pays d’origine pour s’installer dans un autre pays.

J’avais jamais fais attention à cette différnce. Ici, quand on parle des étrangers, on ne les appelle jamais des expatriés, juste des immigrés, avec ces connotations envahissantes et d’histoires de pain volé…
Je pars très bientôt, avant la fin du mois  d’aout, j’essaie donc dans un 1er temps de comprendre ce qui m’attend sur des forums en tout genre. Et c’est là où ça m’a fait tilt. Tous les français partis s’installer là-bas ne sont pas des immigrés, juste des expatriés, avec ce sous-entendu dérangeant que le colon est partout chez lui…

C’est vrai, le choix n’est pas le même, souvent. Le français immigre par envie, carrière, bien-être, exotisme, compte en banque, par transporteur hors de prix, en cartons asssurés, par choix libre, sauf exception.Une immigration choisie.

L’étranger lambda, à savoir les auvergnats, les noirs, les gnakwés et tous ces autres qui viennent voler notre pain et répandre l’insécurité dans notre grand et beau pays, n’immigrent pas en général pour les mêmes raisons, sauf exception, ces exceptions qui confirment les rêgles. « L’étranger » immigre pour pas crever de faim ou d’une balle dans la tête, il immigre par espoir et instinct de survie, en radeaux, boat people, cachés dans des camions entre des cartons assurés, sous les trains d’atterrissage, leur vie en danger, encore.Une immigration subie.

Et moi dans tout ça ? Suis-je une expatriée ou une immigrée ? Le choix du départ s’est imposé, ma famille et moi aurions préféré rester mais elle est en danger ici, comment la nourrir et la soigner ? Je suis donc une immigrée. Oui mais là-bas on me propose de meilleurs boulots, de meilleurs salaires que le marocain moyen, un exotisme, un bien-être, j’en ai envie. Je suis donc une expatriée. Je ne serais pas clandestine, mon titre de séjour m’étant offert sous peu de condition, celle que mes ancêtres étaient des colons se suffisant presque à elle même. Mais enfin le maroc n’a pas été colonisé ! C’était juste un protectorat…Oui mais tu sais la crotte ou la merde c’est pas le même mot mais ça pue pareil ! On ne m’accusera pas de voler le pain de quiconque, on pensera même que je viens « aider » le pays. C’est sur je suis une expatriée. Oui mais tout de même. Pourquoi partir ? Parce que j’ai pas de boulot ici, que j’ai peur tous les jours quand mes mômes ont le nez qui coule qu’il faille les mener chez un toubib que je ne pourrai payer, parce que j’en peux plus de ne pas savoir quoi bouffer demain ou même ce soir ou que l’école m’appelle pour me dire que le service public les prive  de cantine pour cause d’impayés, de faire monter mes enfants dans une bagnole qu’est dangereuse et pas assurée, de n’être JAMAIS partie en vacances, d’en avoir JAMAIS offert à mes mômes, pas même une journée, de n’être plus capable de croquer dans quelque chose parce qu’à force de pas soigner mes dents, elles me font trop mal, tous les jours,  parce que ce pays à grignoter peu à peu l’espoir que j’avais d’y réaliser des choses, aussi petites soient-elles, parce que sa justice m’a condamnée alors que je n’étais pas coupable, parce que je veux vivre et que mon pays me notifie et m’accuse de recevoir un manque de places chez les vivants. Me restait-il d’autres choix que de partir ? Je suis une immigrée. Oh je relativise quand même. Même dans la misère nous ne sommes pas égaux. J’ai une connection internet quand d’autres bouffent de la boue, être pauvre en france c’est déjà ça de gagner. Mais la faim et la peur de ne pas nourrir sa famille restent les mêmes. Ces espoirs mutilés par le pays qui vous a vu naitre vous mène sur les mêmes chemins de la réflexion. Partir, sauver sa peau, un instinct de survie primaire, entretenir un espoir, cet espoir qui seul t’empêche de pendre au bout d’une corde, celui qui te permet encore l’orgueil et la fierté. Je ne vais pas non plus payer un passeur, ça sera en toute légalité, je suis une pauvre 3 étoiles, un déchet occidental qui se recycle très bien à la sauce orientale. L’envahisseur garde de genération en génération ses lettres de noblesses inscrites sur les fusils. Il n’y a que ma famille et moi qui se sentirons immigrés.
Malgré cette relativité de pauvreté, cette mer traversée sur le pont du bateau, pas dans la cale, se sentiment d’e^tre bienvenue quand dans l’autre sens nous ne faisons qu’accuser, se terre au fond de ma conscience une alarme comme quoi il est temps. Nous n’avons pas de maison là-bas, pas de taf signé encore, rien ne nous attends mais nous partons avec la seule certitude d’emmener quelques fringues. Ca me parait fou, aller dans un pays pauvre quand on vient d’un pays comme la France dans le seul but, pour la seule raison, de manger. Mais c’est la triste réalité. Aujourd’hui aussi, de France on immigre par pauvreté. Parce que t’es jamais dans la bonne case, que le vice de la précarité te cloue au sol où tu uses ton énergie à pas péter un boulon, que les joies administratives finissent par t’oter tout statut, parce que d’ARE en RSA tu finis HS. Je ne suis pas la seule, ni la 1ère, d’autres suivront, malheureusement plus nombreux qu’on ne le pense. Ca commence avec les matières grises qui prennent la fuite à l’étranger, c’est au tour des pauvres.

Alors j’ai choisi. Je suis une immigrée. Expatriée me parait de toutes façons improbables. Il faudrait avoir une patrie quand j’ai juste conscience de ma chance d’être née quelque part, et à ce jeu de la roulette russe, j’ai gagné. Puis j’ai tjs cru naïvement que ma patrie, notre patrie à tous, c’était le monde. Je suis une immigrée, ni moins bien ni mieux que ceux qui sont venus vivre ici, qui viennent pour les mêmes raisons que moi je vais là bas mais en pire. Et comme il est sordide de croire que nous pouvons choisir pour ceux qui ont faim, comme il est écoeurant d’accuser des survivants. Alors avant de s’ériger en propriétaire terrien et de s’improviser barbelé, essayons de connaitre cet « autre » qui tente d’entrer chez les vivants. Nourrir ses enfants, vivre dignement, c’est une histoire d’humanité, pas de frontière.