Ou un journal presque intime…

Archives de octobre, 2010

TAKHLITA


Même ici y a pas de tiroir pour me ranger. Même ici y a comme un truc qui cloche, un « oui mais non » même si je le sens se transformer en « non mais oui »…Je vis avec mon homme depuis 10 ans à peu près jour pour jour donc bon anniversaire mon amour. Nous avons 3 enfants. Il est marocain. Je suis française. Il est musulman non pratiquant. Je suis agnostique pratiquement athée. Je n’ai pas encore de carte de séjour marocaine. Je vous ferai les détails du pourquoi du comment une autre fois, ceci prenant un temps énorme. Je vous conterai aussi dans ce même temps inutilement perdu des situations dont même Kafka n’aurait pu imaginer écrire… J’ai trouvé du boulot. En fait j’en ai trouvé plein mais vous comprendrez encore dans le temps que je perdrais pourquoi j’ai choisi celui- là. Je suis maitresse (OH MY GOD). Moi qui passais mon temps à attaquer l’éducation nationale et ce corps enseignant qui pousse le vice de génération en génération, se mariant entre eux comme pour ne pas voir, ne pas comprendre la machine à formater qu’ils servaient, qu’ils servent encore, qui fournissent au futur de notre société des clients dociles, des assistés de la réflexion, des chiens de la pensée unique, des réfractaires au savoir, à la curiosité, à la créativité. J’arrête. Y a encore un prof qui va passer pour me dire que j’exagère et que lui il sait de quoi il parle vu qu’il est fils, arrière-petit-petit-fils d’enseignants et que sa femme comme par hasard en est une aussi !….J’ai donc une classe de CP. 12 élèves. Tous juifs. Ça tombe plutôt bien, c’est une école juive.J’ai carte blanche sur la manière. J’ai les moyens de la manière. Je dois juste rendre compte sur les résultats. A l’entretien j’ai été claire sur mon attachement maladif à la laïcité, ça tombe bien aussi, je suis pas là pour ça m’ont-ils dit. Les petits garçons portent la kippa, les grands aussi. Ca ne me gène pas dans ma classe. Peu importe les têtes couvertes quand l’esprit est ouvert…. Je le rappelle pour ceux qui ne suivent pas au fond de la classe, je vis au Maroc. Je passe donc dans un éclair de seconde de salam à shalom, à bonjour, de la kippa au voile, au minijupe, aux 2 à la fois, parfois, souvent. De plus en plus de jeunes marocaines portent le voile et mettent des fringues plus courtes que leurs culottes, sur ce coup j’ai du mal à comprendre, ou ce sont elles qui n’ont pas compris… Je vis dans une famille pauvre où mon beau-frère exerce un des pires boulots de casa à savoir chauffeur de taxi blanc, des vieilles mercos qui roulent comme une preuve de dieu, comme des preuves de miracles tellement ça parait pas possible. Trajet unique, tarif unique, départ avec un remplissage de 100% à savoir 7 personnes sans compter le chauffeur, journée de travail : 24h. Je vais dans des quartiers qui font passer nos bons vieux ghettos français pour des neuilly flambant neuf. Dans le même temps je me fais raccompagner d’un stage dans une porshe Cayenne. Mais je conduis tous les jours une renault 5 plus vieille que Pasqua et en bien plus mauvais état qu’une justice qui le laisse ressortir libre d’un tribunal, c’est dire ! Faut savoir qu’à Casa c’est juste pas possible qu’un français conduise autre chose qu’une voiture neuve et grosse. J’aime voir les gens chercher où est le problème, y a pas de rangements dans la tête, c’est pas « normal ». Mais qu’est-ce que la norme quand on sait qu’il n’y a qu’au final que des histoires de vies….Ca me donne juste la réponse à la 1ère question que je me posais sur ce blog. Je suis une immigrée, pas une expatriée. Je suis dans le tout, je vis dans son contraire, le quotidien me gifle ou me caresse, depuis presque 2 mois jamais plus il m’indiffère. Je suis bouffée par l’enthousiasme des choix, des couleurs, la vie est un atelier d’artiste qui s’essaie, jetant en vrac ses gouaches, ses pastels, sculptant à mains nues un devenir possible. Prétentieusement je me sens chanceuse. Ce que je vis aujourd’hui m’apprend bien plus de choses que la plupart des gens. Et c’est aussi prétentieusement que je vous accuse de vous tromper de combat. J’ai enlevé du doigt les larmes d’une mère qui tenait si fort son bébé qu’elle aurait pu l’étouffer. Elle était assise dans la rue, n’osant même pas tendre la main de peur qu’on la lui prenne. Je vois tous les jours des enfants dont les regards infligent à mes tripes ce désir qu’ils ont de partir, de fuir la misère qui les course, qui les gangrène peu à peu, qui s’acharne sur leurss rêve et leurs illusions. J’ai appris l’histoire de cet homme, un âssas boiteux, dont sa jambe a été blessé par un hélice de bateau quand il tentait de traverser. Il est resté sur un rocher avec l’espoir inutile de guérir. Jusqu’à devoir rentrer, pour la couper. Et rester là, en pâture à la pauvreté, face aux expatriés qui lui souffle au visage toute leur affliction. Mais je sais aussi que leur rêve français ou européen est tronqué. Je le sais pour l’avoir mangé à mon tour, l’avoir fui pour sauver ma vie et celle de ma famille, pour avoir été enterrée vivante comme ils sont emmurés ici.Alors j’y arrive pas. Je ne peux comprendre comme des retraites font descendre des millions dans la rue et que des lois liberticides comme celle de l’immigration ne coupent même pas l’appétit à 20h du bon vieux plateau télé. Je ne peux comprendre cette féroce envie de défendre les miettes quand le pain entier est jeter aux vautours. Le tout est son contraire. Soyons l’un ou l’autre mais choisissons. Naviguer entre les 2 rend amer et en colère. Rien ne pourra avancer quand les 3/4 de l’humanité n’a rien à macher, quand une poignée de crevard bouffe même quand ils n’ont plus faim. Un vrai statut pour l’Homme, une utopie non mercantile. Comment je n’en sais rien. Condamner ne suffit surement pas. Lutter pour ses miettes c’est juste donner son accord pour donner le pain aux vautours. Se battre pour les autres c’est la meilleure façon de se battre pour soi.

ITISSALAT


Tout le monde connait le téléphone arabe. Pour nous qui enfermons souvent les immigrés marocains ou algériens dans des ghettos conventionnés par l’habitat social français, le téléphone arabe est en gros une information donnée qui, passant de bouche à oreille, finit par être tronquée. Eh ben c’est faux ! Le téléphone arabe existe bel et bien et cet outil fonctionne à la perfection, surtout sans abonnement….Quelques exemples.

Hier déjà. J’attendais mon homme à la sortie de son travail. J’étais dans la voiture quand j’ai entendu un bruit de foule semblable à une manifestation. Sans avoir le temps de comprendre j’ai vu un mec débouler dans la rue en courant plus vite qu’un Bolt sous medoc, suivi par une trentaine de personnes. Tous criaient « cheffar, cheffar, cheffar » (voleur). La panique faisant, ils ont bien évidemment rattrapé le cheffar devenu pour le coup bien plus blanc que moi…! Plaqué contre une voiture, il s’est mis à supplier l’attroupement de ne pas le lyncher. Il venait d’arracher un porte-feuille que son propriétaire a donc très vite récupéré mais s’il y avait autant de monde c’est bien parce que le voleur avait renversé une dame dans sa course et ça ici c’est juste pas possible…A ce sujet, quand j’étais en France et que j’annonçais mon départ pour le Maroc, on me parlait souvent du statut de la femme, si je ne craignais pas d’être mal considérée ou mise à l’écart. Certes il reste des progrès à faire mais je reste convaincue que la place qu’on veut on la prend, on attend pas qu’on nous la donne…. Et si en France la femme était aussi respectée qu’ici on aurait sûrement déjà foutu (et ça serait mérité) à toutes ces chiens de gardes hystériques, ces ni putes ni soumises issues de la plus grande des salopes à savoir Fadéla qui n’ont pour combat que leur frustration et n’entendez pas par là qu’elles sont mal baisées…quoi que !

Je n’ai toujours pas d’appartement et vis dans une famille qu’on peut qualifier de religieuse et traditionnelle. Ce n’est pas la femme qui fait la vaisselle. C’est celui qui est là, qui le peut, qui le veut. Avec mon formatage prétentieux d’occidentale ça a même faillit me surprendre….Ce ne sont pas les arabes qui traitent mal les femmes, ce sont juste les cons ! Et ça y en a partout, de toutes origines, de toutes cultures, de toutes classes sociales. Mais au risque d’ébouriffer le chignon de certaines et de me répéter, on prend la place qu’on veut avoir sinon on ferme sa bouche ou on se casse…

Je m’égare, pas comme le téléphone arabe, j’y reviens ! Autre exemple peut-être plus explicite. Un soir je sortais mon chien, il était tard. Dans le quartier rodaient des voleurs. Ceux là sont vite repérables avec une manière de pratiquer bien établie. A Casa chaque immeuble a un gardien, pas un concierge, un gardien (âssas), de jour comme de nuit. Ils m’ont prévenue de faire attention car ils volent même les chiens et qu’ils veillaient au grain. Quand je suis repassé même pas 10mn plus tard, c’était réglé. Les âssas avaient le nom desvoleurs, ils étaient 4 et l’adresse de leurs parents. Même pas 10 mn !!!!! Combien de temps mettent les flics en France pour ce genre de chose ??!! Assez longtemps pour que ça me fasse bien rire !….Ici moins on voit les flics mieux on se porte et moi avec. Le peuple se charge des petits larcins, il se charge de veiller sur lui et j’ai pu vérifier que ça marchait plutôt pas mal !

Encore un petit exemple, le dernier, notre recherche d’appart passe par les gardiens. Pas besoin de les prévenir tous, 1 par quartier suffit, l’info fait le tour et quand elle nous revient elle est parfaitement intacte. C’est ça le téléphone arabe. Une entraide, un échange, un service contre un autre, un troc, des paroles échangées, inchangées…

Ça relève de l’anecdote vous avez raison mais il serait temps en France comme ailleurs d’arrêter de se fier à notre méconnaissance de l’étranger qui valide notre inconscient dans ce sentiment d’être meilleur, ou mieux, ou plus légitimes et même tout à la fois pour les plus crétins. Ça nous rendrait peut-être moins raciste avec des justifications à la con du genre « moi je suis pas raciste je connais même momo qui m’a filé une recette de couscous excellente », cet arabe de service juste là pour nous faire passer pour autre chose qu’une pourriture de raciste. Se complaire dans seulement ce qu’on connait fait de nous de parfaits imbéciles au point de confondre ignorance et différence…