Ou un journal presque intime…

Archives de avril, 2014

ASILA


J’ai déserté les lieux. J’ai pourtant des choses à dire. Tellement. Mais les mots ne se posent plus. Ils volent dans ma tête sans jamais atterrir. Beaucoup d’entres eux se permettent des escales aux entrailles, d’autres aident mon cœur à pomper, certains servent de ronds-points où mon sang ne fait qu’un tour.

Tous restent là, enfermés, dans un corps, une tête, refusant de rejoindre un stylo, de n’être au final que des mots. Lettre à l’être, c’est à ça qu’ils prétendent. Débarquer avec eux sang et os, cœur au ventre, ventre à terre. Voilà leurs conditions. Ils veulent être lus comme je suis incapable d’écrire, à la manière de l’unanimité, de l’évidence, rendant impossibles et grossiers la contradiction, le doute et cette affreuse vérité des raisons de l’autre.

Je ne peux être ce passager de l’idée à l’écrit, condamnée à laisser la blancheur au papier. Je ne peux vous raconter l’abysse de nos réflexions toutes exprimées en réaction, en condamnation, en réponse quand le temps est aux questionnements et aux créations. Je ne peux vous parler des yeux de cette femme qui vient de retrouver ces enfants après plusieurs années. J’étais juste à côté. Dans leur maigreur, la couleur du déchirement, des guerres et de l’argent. Et ces autres croisés cette année, réduits à néant pour un papier justifiant d’un droit de passage dans les coulisses d’un monde où jouent sur scène des acteurs aveuglés par trop de lumières. Comment vous en parler ? Ces 3 religions que je côtoies au quotidien dans une harmonie inexplicable et qui me réapprennent combien le doute est important. Comment vous dire que grâce à eux je ne me rapproche pas de dieu mais de l’Homme ? Et ces enfants dont je m’occupe, de ceux qui ne seront jamais autonome, ou ceux qui n’ont d’espérance de vie qu’une rage inépuisable d’être heureux, conscients dans l’enfance de leur statut éphémère. A leur contact les préoccupations politiques et sociétales se transforment à futilités dérisoires, donnant à la vie une dimension tellement plus globale, plus grande.

De tout ça et d’autres encore que ma vie d’immigrée m’apporte je ne sais plus rien de ce monde ou, si j’avais de la prétention, je dirais j’en connais trop. Mais plus que jamais je ne sais rien, sur tout.

Peut-être une ou 2 choses. Les révolutionnaires, ceux qui se battent au-delà des fatalités et plus loin que l’utopie, ont le ventre vide. Que le monde se refera dans le désespoir et les privations. Que les choses changeront quand nous serons moins gâtés.