Ou un journal presque intime…

Archives de septembre, 2010

CHOUF


J’ai vu des enfants qui n’avaient pas 10 ans se shooter à la colle et au KARKOUBI ( benzodiazépine pure ), défoncés, j’en ai vu d’autres travailler bien plus dur qu’un 35h sans rtt, j’ai vu un âne s’effondrer sous le poids de la charrette qu’il tirait, j’ai vu une famille d’acrobates s’entrainer en poussant les déchets, j’ai vu des centaines de taules qui servent de maison, j’ai vu trop de gens se nourrir dans les poubelles, j’ai vu 5 personnes dont 3 enfants sur une seule mobylette, j’ai vu un pêcheur juché sur un rocher de quelques centimètres où les vagues venaient se fracasser, je l’ai vu risquer sa vie pour quelques dirhams,j’ai vu un homme portant une bonbonne de gaz sur un vélo, j’ai vu des théières immenses dans des jardins, des gens tout autour un verre à la main, j’ai vu les mosquées se désemplir dès la fin du mois saint, depuis j’ai vu moult bouteilles d’alcool sur les trottoirs, j’ai vu les poulets dans les souk, j’ai vu la mosquée hassan 2, c’est juste splendide, j’ai vu l’océan c’est juste pollué, j’ai vu des flics me sourirent, j’ai vu aussi l’indécence aux sorties des écoles privées, j’ai vu des femmes arrogantes n’existant qu’à travers le fric, j’ai vu la vulgarité pendre aux portes clefs des voitures de luxe qu’elles exhibent comme pour exister, je les ai vu mal parler à leurs employés, j’ai vu d’ailleurs qu’ils n’étaient que des esclaves, j’ai vu les dégâts de la colonisation, et ce sentiment de toute puissance que donne l’illusion de l’argent, j’ai vu des gamins insultant leur maman, leur papa, bien fait pour leur gueule, l’éducation ne se fait pas dans un porte-feuille, j’ai vu des gens dans les clubs privés se délectant de leur billet face au pêcheur dont je vous parler tout à l’heure, j’ai vu le pire, j’ai vu le meilleur.
Je peux comprendre la misère absolue, je m’y suis toujours sentie très proche, le respect qu’elle m’inspire, ce combat du quotidien, cette lutte perdue d’avance juste pour pas crever, je peux l’accepter, je la sens, la respire, dans les yeux je n’y vois que courage et abnégation, dans les coeurs je n’y trouve qu’envie sous une couche de désolation. Elle m’ouvre les tripes mais je peux soigner ne serait-ce que d’un sourire, d’une main tendue, d’une considération.Je suis une fille du peuple, celui qui se bat contre des moulins à vent, avec cet espoir de valser jusqu’aux étoiles même si on finit à terre.
Je ne peux comprendre cet excès de fric qui transpire des pores des trop riches pour être humain. Qui fixent leur vie sur des cartes de credit GOLD, qui n’ont comme seule envie que d’étouffer les autres vivants, qui masquent leur inutilité par une tragique croyance d’exister vraiment. Ils paradent, déguisés de marques qui les rendent vulgaire, n’ayant pour offrande que leur arrogance et ce pitoyable sentiment de se croire supérieur, d’avoir réussi. Bcp de français, nostalgiques d’une colonisation qui n’est pourtant pas perdue, et des nouveaux riches marocains qui ont vendu leur lopin de terre où depuis des générations ils s’escrimaient à arroser quelques plants de leur transpiration. C’est sur les bidonvilles que la richesse pousse le mieux…. Oublier d’où l’on vient comme une honte d’être pauvre.Ils fréquentent toujours les mêmes endroits, toujours occidentalisés, ils renient jusqu’à leurs racine pour ressembler aux blancs qui tiennent leur virilité ou leur grandeur à la grosseur de leur voiture.

Ce n’est pas la pauvreté qui me gène au Maroc, comme je le redoutais. Une fois de plus c’est son contraire. Voilà une constante internationale, l’indécence et la bêtise crasseuse qui règnent dans l’excès de fric. Ce fric qui tapisse les injustices d’une couleur chatoyante pour rendre l’innommable plus doux.celui qui rend les gens pauvres de considération, qui les rend laids de complication, qui étalent leur sourire plein de fausses dents et qui crachent sur ce qu’ils ne pourront jamais se payer, sur ce qu’ils ne seront jamais : des êtres Humains.

ABI


Plus de 2 millions….Je vous crois ! Les flics ne savent pas compter. Choukran ! De loin quel plaisir de voir son pays de se lever un peu. Pourvu que ce ne soit pas pour mieux s’asseoir. Ici aussi dans les écoles françaises la grève a été très suivie. Je vais profiter de cet épisode pour m’adresser à mon père qui quand il vient lire ces lignes ressent un sentiment de culpabilité. Je m’en veux moi qui espérais ne serait-ce qu’un peu le soulager de mon départ.Je croyais que je le froissais à lui, en tant que père jusqu’à ce qu’il m’explique, et que je comprenne. Il serait là il dirait que je comprends pas vite…il a sûrement raison. Je le froisse lui en tant que militant. Il se sent coupable en tant que militant. Sa vie entière est vouée à la lutte pour l’égalité et la justice, pour le bien de l’autre et qu’importe cet autre. Il prend comme un échec personnel mon immigration. Toutes ces années de combat pour voir sa fille partir avec son petit-fils juste pour lui filer à bouffer. J’ai pour lui le plus grand respect, pas seulement celui que doit avoir une fille envers son père, celui que vous inspire les grands hommes. Aussi loin que mes souvenirs remontent, je ne l’ai jamais vu plier, ni même douter de ses idées, ses convictions, son combat. Certains vous diront qu’il est communiste, d’autres syndicaliste, ou les 2 à la fois. Je dirai juste que c’est un humaniste même si ça aussi ça risque de le froisser…Mais ils sont comme ça les vieux militants, les vrais résistants. Petite je grandissais dans les manières de refaire le monde, dans les engueulades de fin de repas sur comment mieux le dessiner, j’étais un buvard, tout ça m’a construite, mot après mot, enthousiasme après désillusion, combat après lutte, manif après grève. Oh non ! tout le monde n’a pas  la chance d’avoir  des parents communistes, moi j’ai eu mieux que ça encore, j’ai eu des parents Humanistes et la majuscule n’est pas un hasard. Alors papa ne te sens coupable de rien, ne salis pas ton statut de militant pour un échec qui n’est pas le tien. Cet échec est dans nos laisser faire commun pas dans tes besoins essentiels de te battre envers et contre tous. Je suis sûre que tu fais parti des derniers à y croire comme tu respires, à le vouloir comme tu vis. Tu sais que j’aurai pu intégrer un IUFM, devenir prof et filer du pré-maché à des mômes inscrits sur un cahier des charges qui n’auront au final comme seule envie qu’une meilleure télévision, comme seule revendication d’avoir mieux que le voisin. J’aurai pu papa signer plein de «  »lu et approuvé », soudoyer ma désapprobation en troquant mes salaires contre des crédits. J’aurai pu papa. Mais c’est pas ça que tu m’as appris. Ni maman. Vous m’avez nourri de fierté, vous m’avez appris à ne pas transiger, vous m’avez éduquée dans l’espoir des luttes, tu m’as aimée et tu m’aimes encore dans le courage de vivre à la mesure de ses idées. C’est vrai, je ne prends pas de carte, je refuse de m’impliquer dans un parti quelqu’il soit et à ce jeu tronqué qu’on continue d’appeler sans rougir « démocratie ». Mais ça a changé papa. Ma génération est pitoyable. Née avec tout, de parents souvent fatigués d’avoir vu leurs parents s’épuiser à aller arracher quelques droits essentiels que tu essaies encore aujourd’hui de sauver. Je conchie sa faculté à se vautrer dans ce qu’elle prend pour acquis, à avoir peur de tout, d’eux les 1ers, à voter par habitude,à laisser faire tant que les congés payés seront pris cet été. Je t’entend d’ici malgrè nos 2000km ! Je sens même que je t’énerve. Mais aujourd’hui la lutte doit changer son fusil d’épaule, le changement, celui pour lequel tu t’es toujours battu n’est plus un problème politique tout simplement parce qu’elle n’existe plus, ne reste plus que des politiques qu’on reconnait à leur costume 3 pièces et qui se transmettent les cuillères en or. Moi j’ai connu tout ça de la bouche de papi et de la tienne. J’ai jamais cru aux livres d’Histoire, juste des livres d’histoires….Ca a changé papa que tu le veuilles ou non. et tu n’y es pour rien. On ne peut jeter la pierre à celui qu’est au charbon mais nous avons oublié de lapider celui qui pense « pognon ». Tout aujourd’hui n’est qu’histoire de petits pouvoirs prétentieux, de titres à inscrire en en-tête, de moi d’abord, de toi bien après. J’ai essayé, je te jure. Etudiante surtout. J’allais partout où il fallait : manif, réunion etc. Mais après tout ça ? Rien. Fallait en un moment rentrer dans le rang. Mais je n’ai pas de rang papa. Et ça c’est ta faute. Tu m’as faite libre et indépendante. Je n’arrivais pas à rentrer et me dire que peut-être ça reprendrait demain. Que les horreurs quotidiennes de racisme, d’injustice, d’ignominie allaient me laisser dormir en paix. On m’a souvent dit que je portais tous les malheurs du monde sur mes épaules. Ils se trompent. Je ne le fais pas.Mais je suis dans ce monde. Je ne peux accepter tout ce qu’il offre de bon sans prendre ma part de ses tragédies. Chacun, nous le construisons tour à tour, rarement ensemble, c’est une vue de l’esprit, c’était peut-être vrai avant, aujourd’hui nous n’avons plus le temps Moi j’ai juste pas envie d’y mettre du béton, la seule trace que je veux laisser c’est une lumière pour mes enfants. Et si je suis partie papa, c’est pour continuer de me battre comme tu me l’as toujours appris, c’est pour ne pas renoncer, pour rester fière et digne. Je n’ai pas pu en France, peut-être que j’y arriverai pas plus au final ici mais ce qu’il faut c’est tenter. Bien sûr que je suis en colère contre mon pays. Regarde aujourd’hui. De loin on me dit que c’est pour les retraites. Et c’est beau un peuple dans la rue. Mais quand sa jeunesse se meurt, que les ghettos sont établis, que des discours dignes des pires années ne font vomir personne, que mon fils rentre de lécole et qu’il faut que je lui explique pourquoi il n’est jamais invité, que des référendums ne sont pas respectés, que des gens sont expulsés, des enfants enfermés ou cherchés jusque dans les écoles parce qu’ils n’ont pas de papier, que d’autres crèvent de faim jusque sous nos fenètres que l’on prend bien soin tous les soirs de fermer, que nos cartes bancaires financent des centaines de guerre, que les centres de rétentions n’ont toujours pas cramé, que l’école ne fabrique pas plus de réussite que d’abrutis sociaux et j’en passe des pires, les retraites me semblent anodines. Aie là tu cries papa calme toi. mais le monde je le « voeu » comme tu me l’as dessiné. Beau, égalitaire, libre. Je ne peux transiger avec. Et c’est ta faute s’il n’est pas comme ça. C’est la mienne aussi. A nous tous. De n’avoir pas usé de notre radicalité dès les 1ères injustices, en donnant du crédit aux urnes et aux banquiers, en rongeant les os qu’on veut bien nous donner.Ca y est tu me traites d’anarchiste je t’entend ! non papa, je ne le suis pas. Je ne suis rien. grace à toi je vis comme je l’entends, grâce à toi j’ai eu le courage de partir, grâce à toi j’ai la force de continuer à y croire. Et c’est surement là la plus beau résultat de tes combats. Tu n’as peut-être pas changer le monde mais tu l’as amélioré à insufflant aux gens autour de toi la force d’y croire encore et quand il faudra se soulever, radicalement, pas pour des retraites dans un pays où aussi on immigre par pauvreté nous serons là. Grâce à toi. Et c’est ce qui manque aujourd’hui, des gens comme toi. Vivre pour lutter. Pas lutter pour vivre.

FOUK STAH


Je suis sur le stah(toit). Je crois que j’y serais souvent. La 1ère fois que j’y suis montée c’était à l’heure du Ftor, l’heure où le jeûne s’arrête, où la sirène retentit et l’appel à la prière commence. Je surplombais la fourmilière, l’observant, aussi attentive qu’un naturaliste amoureux fou. En 3 minutes les rues se sont vidées, chacun pressé de rentrer, les mains pleines de victuailles, impatient de s’attabler. Restait plus que moi, la ville en offrande, hurlant son silence, me caressant de sa tranquillité. J’y suis remontée ce soir, pour vous le raconter. Sous mes yeux s’étalent fière à défier l’horizon, les odeurs m’imprégnaient me donnant l’absolution. Comme disait l’autre, c’est beau une ville la nuit… J’ai enfin vu la mer aussi. 10 ans qu’elle et moi ne nous étions pas vu. Ne s’étalait pas sur la plage des pétasses huilées sur des serviettes accordées à leur vernis à ongles, ne se vautrait pas sur la plage toute l’inutilité d’un touriste qui ravi sa puissance à son portefeuille.. Elle était pleine d’enfants et d’autres bien plus grand, par paquet de 100. Tous jouaient au foot sur des terrains improvisés, tracés dans le sable à la main ou au pied. 2 patés de sable pour faire les cages, personne pour les garder. Tout ces terrains éphémères entremêlaient en damier, la mer s’amusant  encore un instant avant de les effacer. Beaucoup avaient les chevilles bandées, les genoux défigurés à force d’intensité à jouer pour oublier que la vie se joue d’eux. Je suis passée à travers les terrains, prenant soin de ne pas gêner. Jamais un regard hautain, pour moi l’immigrée. Je me suis plantée aux bords, laissant les vagues à la mer, surfant sur celle de mes tripes. Juste avant je m’étais placée en pôle position pour le boulot de mes rêves, encore un peu avant on me proposait d’enseigner. C’était trop. Je n’ai pas su gérer. Je ne compte plus les années de galère et les accidents de la vie, ils ont faillit me rendre amer, pire ! J’ai failli laisser faire.Je connais pas bien le bonheur, on s’est pas croisé souvent. D’ailleurs je préfère l’appeler espoir, celui qui vous met le couteau entre les dents. Sur cette plage, c’était trop. J’avais du mal à contenir mes larmes. J’ai échoué un instant.J’ai vécu en une journée ce que j’ai cherché plus de 30 ans dans mon pays, être parfois, considérée. Mon pays m’a renié m’offrant en guise d’au revoir toute son infâmie. Mon pays m’a délaissée, celui où je suis m’apprendra à lui pardonner.Mais s’il vous plaît, si vous croisez un immigré qu’a l’air perdu, aux bords des larmes, assurez-vous que c’est la joie qui le submerge. Si c’est le contraire c’est que le peuple français a échoué quelque part.

EL HAYAT


Ca fait pourtant que 5 jours, mais apparemment ça suffit pour que je me sente bien. C’est vrai que le soir, quand j’entends raisonner la prière, monte en moi une nostalgie qui instille un manque de tournesols, de campagne et de tranquillité. Peut-être est-il trop tôt pour le dire mais je pense bientôt être chez moi, moi l’immigrée. Nous n’avons toujours pas de maison et ma famille squatte les sidali du salon, je prends ce qu’ils appellent ici les petits taxi, des petites voitures rouges toutes rapiécées qui t’emmènent au bout du monde pour pas cher. Cette recherche d’appartement me fait découvrir la ville. Casa est immense, en effervescence, un tétris d’extrême pauvreté avec son contraire. Une rue pleine de maisons démesurées, aux prix indescents, garder par quelqu’un, assis devant toute la journée, qui habite dans la rue d’après, un bidonville. Les ferraris, mercedes, bmw que je n’ai jamais vu en franque doublent des ânes tirant des charrettes faites maison, des chevaux encore plus maigre que leur propriétaire.Mes enfants se fondent enfin dans le paysage, mon CV fait des miracles et je vais essayer de monter un projet dont je vous parlerai s’il prend forme. Peu-être est-il encore trop tôt pour le dire, surement, surtout avec ma famille sans domicile et le prix des appartement, mais je regoute à l’espoir et l’envie, je revis. Je n’imaginais pas à quel point j’étais morte dans mon pays. J’aime cette culture, y a une folie que nous n’avons jamais eu, j’aime manger dans un seul plat avec les doigts, j’aime regarder les gens assis par terre, dehors, la nuit, pour prendre le thé. Je n’ai encore rien vu de touristique, je ne suis pas touriste ça tombe bien. Je vois des quartiers que les français en vacances ne verront jamais, quel dommage, c’est là que se cache l’âme du Maroc. En France les grandes villes ont toutes la même odeur. Ici mon odorat en prend plein la gueule, s’émoustillant ou se rebiffant tour à tour, tous les 3 pas. Surement le gout de la nouveauté me direz-vous ! Non c’est autre chose. Je n’arrive pas à poser des mots pour l’expliquer. Ça vient du ventre, ça doit passer par le coeur, ça retourne le sang, ça vous rend vivant.Je suis vivante. Enfin.