Ou un journal presque intime…

Archives de novembre, 2011

CHAJARA


Quand on regarde mon fils c’est flagrant. Les gestes, l’accent, le Maroc s’écrit sur sa peau. En 1 an il a énormément changé, laissant à la culture marocaine le soin de continuer de le façonner. Ça ne remplace pas son éducation occidentale, ça vient se rajouter comme un mélange épicé, une richesse des différences. Il est français. Il est marocain. Il est gascon. Il est gnawi. Il est tout ça, naviguant dans sa normalité, celle de fêter noël ou d’égorger le mouton dans sa maison, celle des appels à la prière et des appels à la révolte de sa mère, il est tout ça mon fils. Il se fabrique dans le contraste tranchant, dans la différence consentie, dans 2 cultures qu’il accorde à son « la » pour jouer sa partition. Il en est encore aux racines, nombreuses, elles ont besoin d’eau, beaucoup.

A regarder ses changements, j’en oubliais les miens. Mes racines commencent à avoir de la bouteille, l’arbre a bien poussé, j’ai moins besoin d’eau, plus imperméable à mon environnement, je croyais.

Une semaine avant l’Aïd mon quartier s’est transformé. La moitié des magasins de ma rue s’était vidé laissant place à des dizaines et dizaines de moutons. Le petit resto avec écrit chawarma abritait désormais la matière 1ère. Les proprios louaient pour la semaine aux maquignons de quoi loger les moutons. Le 1er matin où je suis sortie l’odeur m’a bouleversée. Ce n’était pas celle habituelle de la ville, c’était celle de ma campagne quand j’allais nourrir les brebis. Cette odeur qui parait repoussante et que j’étais si heureuse de retrouver. Je partageais le trottoir avec les moutons et les chèvres, je regardais les gens tâter le gigot, essayant d’imaginer la bête déshabillée. Puis ces autres qui s’étaient installés un peu partout avec meule inventive calée sur des vieux vélos d’appartements, le client vient avec ses couteaux, un coup de pédale et le tour est joué, les outils sont aiguisés. A leur place j’y ai vu mon grand père en bas, au pigeonnier, pendant que lui aiguisait, je pédalais. Pendant cette semaine j’ai opéré pas mal d’aller retour entre mes hier et mon aujourd’hui. Je suis une campagnarde qui pendant 1 semaine retrouvait dans la ville son terrain de jeu favori, la paille, le fumier et les bêtes. Mon aujourd’hui avait le goût de mes hier alors que tout ce qui m’entoure est leur contraire.

Est arrivé dimanche, veille de l’aïd. Il est d’usage de faire rentrer le mouton dans le garage ou la maison, j’habite dans un immeuble…Rien ne m’a dérangé, pas même le bruit et l’odeur…au contraire. Ils ont tourmenté et cajolé ma nuit. J’ai beaucoup rêvé de mon ancienne maison au milieu des champs, de l’étable juste à côté, de la forêt, de chez moi. Des rêves entrecoupés de réels bêlements, de vraies odeurs, c’était comme si j’étais sur le pont de liaison entre la réalité et le rêve, me regardant passer de l’un à l’autre. J’ai trouvé ça bizarre et ça m’a laissée une sensation étrange au réveil jusqu’à l’heure du sacrifice. En regardant le mouton se vider de son sang j’ai compris ce que je ressentais, ce n’étaient pas mon aujourd’hui ou mes hier, mon rêve ou ma réalité, c’était mon mélange, mon inter culturalité…Interculturalité. Un module étudié à la fac. Je viens juste de prendre la théorie en pleine gueule, c’est ce qu’on appelle la pratique. J’ai tué un mouton dans ma maison comme offrande à Dieu, je ne crois pas en lui. Je peux le comprendre. Vous expliquer serait trop long mais « le rite social dépasse souvent la religion » en serait la conclusion. Je veux juste vous dire la propreté et la rigueur du sacrifice. Je ne justifierai pas ce propos. Il devient sale seulement quand la croyance devient une effraction aux yeux de certains. Je ne justifierai pas celui-là non plus. Revenons à nos moutons.

J’aime arriver à comprendre ce que je ne comprenais pas, j’aime que mon occidentalité s’orientalise, s’imbrique dans une autre culture, sans s’effacer, sans se justifier, aidant parfois, compliquant souvent, s’ouvrant toujours. Je n’ai jamais aimé les certitudes qui sont souvent des résultats de l’ignorance, je peux vaciller, plier, je n’ai plus peur, j’ai des racines solides. C’est ça qu’elle m’apporte mon inter culturalité naissante, j’avais la solidité, arrive la souplesse, j’avais une normalité arrive une réalité. C’est bon le mélange quand on a des racines, c’est bon le mélange quand il n’est pas accusé.

Quand ce n’est pas le cas, c’est l’enfer de l’errance qui vous attend, errer, se chercher, comme tout ces mômes dans les cités qui ne sont que des caricatures d’eux mêmes. A peine si toi tu les considères français. A peine si eux y croient quand à la maison les parents, de juste droit, s’accrochent à leur culture, leurs odeurs, leur langue comme je le fais ici, chez moi. Condamnés aux délits de sales gueules, accusés d’illégitimes croyances, jugés avant d’avoir fauté, français mais devant le prouver, une culture dont ils voudraient s’émanciper, une autre qui souhaite les renier. Quelle place pour des racines ? Quel endroit pour se construire ? A la maison ? Face à des parents qui n’ont fait que réaliser les rêves que la France avait pour eux ? Face à la société qui aussi bien pensante et propre soit-elle continue de voir en premier le côté bronzé du français ? Comme se construire, trouver son identité, en accepter juste une quand on ne se sent légitime nulle part ?

L’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger) rencontre ici un nouveau problème depuis 4 ou 5 ans. Jusqu’ici complaisante dans son côté franchouillard paisible qui s’engraisse tranquillement, elle voit arriver des indigènes de la république venus troubler la passivité ambiante. N’ayant plus aucun contrôle sur leur gamin en France et juste avant la case prison, un schéma se dessine. La mère rentre au pays avec le petit délinquant à casquette dans l’espoir qu’ici ça ira mieux. Mais c’est tout le contraire qui se passe. A l’école c’est un carnage, il ne se sent pas intégré et encore moins français. Dans le quartier, il n’est pas intégré non plus et se sent encore moins marocain. Il lui reste quoi comme identité à part celle d’être ni l’un ni l’autre, celle de n’être rien si ce n’est qu’un quota télévisé, une prévision de l’échec ? Et ça continue de surprendre, de questionner, mais pourquoi sont-ils intenables ces sauvages ?

Mais qui leur donne le droit d’exister monsieur ? Qui leur donne cette légitimité d’être français ? La France est multiculturelle certes et c’est tant mieux. Mais elle est aussi devenue interculturelle. Et c’est peut-être ça la réponse à la question qu’elle se posait sur son identité. Des racines solides qui doivent être aujourd’hui capable de souplesse. D’accepter que le tronc de son arbre se garnisse aussi d’écorces d’ailleurs, que ses bourgeons n’ont pas la même couleur, que ses branches ne pointent pas le même dieu et que les feuilles tombées ne sont que piétinées.