Ou un journal presque intime…

Archives de la catégorie ‘Uncategorized’

AMAL


Je tourne dans le salon. Comment leur dire ? Comment leur demander ? Vont-ils comprendre ? Je les entends rire. Je m’apprête à leur ôter tous leurs repères. 11 et 7 ans. J’ai les entrailles qui s’arrachent. Leur vie est déjà compliquée et dans 5 mn je vais les pousser dans le vide sans billet de retour. Ils doivent tout vendre, tout leurs jouets, ne garder que l’indispensable. On doit partir, se sauver, au sens propre du terme. Je n’ai aucune réponse aux questions qu’ils poseront. Je ne sais pas où on va vivre, je ne sais pas où ils iront à l’école, si même ils iront, je ne sais pas si je trouverais du travail. Je sais juste qu’on a plus d’avenir possible ici. Que papa, maman crèvent à petit feu. Qu’on ne supporte plus cette survie, cette faim, cette fin. On doit tout vendre, juste pour acheter des billets, partir, vite, sans réfléchir, jouer le tout pour le tout avant le dernier souffle de courage.

Cet été là je les ai trainés dans tous les vides greniers de la région. Ils regardaient leurs habits, leurs jouets, leurs souvenirs passer aux mains d’étrangers. J’essayais de rendre léger, de les faire jouer aux aventuriers. Ca marchait presque. Des fois. Pas souvent. Pas longtemps. J’ai réduit leur vie à un sac chacun. Un fois dans l’avion, j’ai pleuré tout le long. Je ne crois pas avoir autant pleuré de ma vie. Je leur disais que j’étais juste un peu triste de quitter la France mais j’étais juste terrorisée, tétanisée.

C’était il y a 4 ans. J’ai l’impression d’une éternité même si ce souvenir est gravé jusqu’à la moindre couleur, à la moindre odeur.

Ces 4 dernières années n’ont pas été simple, 6 déménagements, des pas en avant, bien plus en arrière mais je voyais la lumière au fond du couloir alors que là d’où je venais, tout était noir.

4 ans. Je commence juste à mettre ma famille à l’abri. Ils ont 15 et 11 ans maintenant. Je les trouve fabuleux. Ils ont vécu des choses que peu de gens osent vivre. Je les trouve courageux. Jamais ils ne se sont plainds. Jamais. Jamais ils ne réclamaient, ne s’impatientaient. Jamais. J’ai l’impression que rien ne peut les détruire aujourd’hui. Ils ont une force hors du commun. Mon fils a un regard tellement spécial sur le monde. Sa lucidité parfois m’effraie mais je sais que grâce à elle, il s’égarera surement mais retrouvera son chemin et mieux, il posera lui-même ses balises.

Si aujourd’hui je réalise mon rêve, que le frigo est plein demain, après demain et surement le mois prochain, c’est que je leur dois beaucoup.

4 ans. Je suis heureuse. Je vis la vie que j’ai toujours voulu. Je suis mon propre maitre, mes rêves démesurés sont aujourd’hui des projets bien avancés. Alors c’est ce que je leur dit. Envoyez chier le monde entier, cramez votre vie à grands coups d’envies, révez grand, démesuré, ne décrochez pas la lune, pensez juste à l’admirer. Mes enfants, la vie n’est rien d’autre que ce qu’on en fait.

ASILA


J’ai déserté les lieux. J’ai pourtant des choses à dire. Tellement. Mais les mots ne se posent plus. Ils volent dans ma tête sans jamais atterrir. Beaucoup d’entres eux se permettent des escales aux entrailles, d’autres aident mon cœur à pomper, certains servent de ronds-points où mon sang ne fait qu’un tour.

Tous restent là, enfermés, dans un corps, une tête, refusant de rejoindre un stylo, de n’être au final que des mots. Lettre à l’être, c’est à ça qu’ils prétendent. Débarquer avec eux sang et os, cœur au ventre, ventre à terre. Voilà leurs conditions. Ils veulent être lus comme je suis incapable d’écrire, à la manière de l’unanimité, de l’évidence, rendant impossibles et grossiers la contradiction, le doute et cette affreuse vérité des raisons de l’autre.

Je ne peux être ce passager de l’idée à l’écrit, condamnée à laisser la blancheur au papier. Je ne peux vous raconter l’abysse de nos réflexions toutes exprimées en réaction, en condamnation, en réponse quand le temps est aux questionnements et aux créations. Je ne peux vous parler des yeux de cette femme qui vient de retrouver ces enfants après plusieurs années. J’étais juste à côté. Dans leur maigreur, la couleur du déchirement, des guerres et de l’argent. Et ces autres croisés cette année, réduits à néant pour un papier justifiant d’un droit de passage dans les coulisses d’un monde où jouent sur scène des acteurs aveuglés par trop de lumières. Comment vous en parler ? Ces 3 religions que je côtoies au quotidien dans une harmonie inexplicable et qui me réapprennent combien le doute est important. Comment vous dire que grâce à eux je ne me rapproche pas de dieu mais de l’Homme ? Et ces enfants dont je m’occupe, de ceux qui ne seront jamais autonome, ou ceux qui n’ont d’espérance de vie qu’une rage inépuisable d’être heureux, conscients dans l’enfance de leur statut éphémère. A leur contact les préoccupations politiques et sociétales se transforment à futilités dérisoires, donnant à la vie une dimension tellement plus globale, plus grande.

De tout ça et d’autres encore que ma vie d’immigrée m’apporte je ne sais plus rien de ce monde ou, si j’avais de la prétention, je dirais j’en connais trop. Mais plus que jamais je ne sais rien, sur tout.

Peut-être une ou 2 choses. Les révolutionnaires, ceux qui se battent au-delà des fatalités et plus loin que l’utopie, ont le ventre vide. Que le monde se refera dans le désespoir et les privations. Que les choses changeront quand nous serons moins gâtés.

CHAK


Vous tranchez. Vous coupez. Vous affirmez. Vous assurez. Vous savez. Je vous envie presque. Je n’écris plus, ou presque pas du moins. Parfois, dans un coin, un bout de papier adorant finir froissé. Parfois ça me manque, pas souvent c’est vrai. Peut-être que je n’ai pas le temps, c’est pas faux, de temps en temps seulement. Pour être honnête je ne sais plus rien. J’aimais déjà bien plus le doute c’est certain, effrayée par les affirmations et les certitudes auxquelles il manquera tjs des lendemains. J’écoute, je vous lis, j’essaie de comprendre les pour les contre, gardant mes opinions déjà clamées en forme de monstre qu’a trop mangé. Je n’ai plus faim. Prendre parti est nécessaire, je le conçois mais en être fier n’est pas pour moi. Maintenant 3 ans que je navigue sans repères établis, sans partis pris. Mes quotidiens sont des lieux d’apprentissage et quelques fois je me ramasse aux passages… Je cajole ma laïcité entre prières en hébreux, mots d’arabe et leur évidente réciprocité. Je me sers dans 3 cultures, la mienne n’est plus dominante, le mélange s’épure faisant de moi une parente. Etrangère nécessaire d’un tout, le monde est mon chez moi, je m’essuie les pieds en rentrant, c’est tout. J’apprends à vivre à des enfants qui vont mourir trop tôt, j’aide à intégrer d’autres déjà rejetés faute de normalité, j’invente des langages et ils m’offrent leurs mots, ils me donnent l’essentiel et du reste je m’en suis acquittée. Les détails servent de décors sur le chemin de nos morts, la vie avec ses artifices est un vrai supplice. Je livre des batailles qui ne sont pas des guerres, sans ennemis à terre, l’humain dans ce qu’il est est devenu mon arme, et c’est le déglingué qui seul fera sécher les larmes. Alors c’est vrai je n’ai plus d’avis sur qui doit pouvoir se marier, sur celui ou celle qu’on doit aimer, l’être ainsi détaillé est juste un affront à son humanité et ne mérite de discours que de ceux dont l’amertume rend lourd. Je n’ai plus d’avis sur comment mener un monde, le monde ainsi détaillé d’avis tranchés, n’est plus qu’une viande découpée pour charognards satisfaits. Je baigne aujourd’hui dans l’essentiel, de certitude je n’ai que celle du doute, et ne donne mon avis qu’à ceux qui s’en foutent. J’apprends le monde dans sa simplicité et l’humain dans son unité. Je souhaite vivre folle d’insouciance avec le seul respect de l’autre comme conscience.

3ÂDI


J’aime ce pays. Vraiment. Mais depuis que ma classe est ouverte je prends ses décennies de retard dans la gueule et m’oblige à affirmer que si la foi individuelle peut être belle Dieu n’a pas à gérer les parties communes.

Il n’est pas rare qu’ici des enfants « différents » soient cachés sous des lits, dans des placards pour d’obscures raisons qui ont l’air de trouver leur légitimité dans l’existence d’une punition divine. Dieu punit par l’anormalité, l’handicap ainsi châtiment. La bienséance veut que parfois l’on en parle au gouvernement, qu’une ou 2 structures façon gardiennage voient le jour, où la seule ligne pédagogique suivie est d’essuyer les baveux régulièrement. Insuffisant. Nettement. Je pense à la France. Même encore embourbée dans des restes d’éducation chrétienne, l’anormal a une chance. Alors je réfléchis au modèle français, celui que je pense encré dans l’émancipation de tous et du respect de chacun. Quelle idée je peux prendre de mon pays pour essayer ici ? Il doit bien y en avoir une. Mais aucune ne me va. Chacune compartimente, classe, enferme, étiquette, normalise, selon sa convention. Conventionnel. Aucune n’est assez folle. Chacune à cœur d’adapter un sujet à la société. Aucune impétueuse pour faire le contraire. Ne vous méprenez pas. Ce n’est pas seulement une critique. Je rencontre des cas pour lesquels je rêve d’être en France pour avoir un peu d’aide, du soutien. Mais je veux continuer de rêver grand et espérer anéantir d’un souffle l’anormalité divine ou sociétale, n’ayant pas l’impression qu’elles soient si différentes l’une de l’autre… La finalité est la même. Le jugement du handicap comme critère d’anormalité. Et pour le vivre tous les jours, pour avoir cette chance du mélange, de la normale anormalité, je ne sais plus qui ne correspond pas aux normes, qui est malade ou non. Les rôles s’inversent souvent. Chacun de son talent ouvre une voie vers la seule vérité de notre espèce humaine, avec ses faiblesses, ses handicaps, ses obstacles, ses forces, ses imperfections qui font de nous des êtres uniques, tous à un moment ou un autre handicapés.

Je tentais d’expliquer y a pas si longtemps comment je ressentais mon travail. J’y amène rarement ma conscience, la pluralité des personnalités qui comble mes journées ne me le permet pas. Je ne peux même pas adapter un seul modèle de communication, sans cesse à tâtons, tantôt par gestes, parfois par sons, n’oubliant pas les paroles, des regards comme des livres, des apprivoisements, des rejets, des cris, de silence, toujours à l’écoute. Chacun son territoire, pour tous un droit de passage sans ultimatum ni frontières, tout le monde s’apprend, s’étudie, effaçant les différences par le besoin de l’acceptation. Tout ça se fait de manière très instinctive, très animale, les sens en éveil. La tête en sommeil. Le nom des maladies s’oublie, les handicaps disparaissent, ne reste plus que la base de l’espèce : l’humain. Celui qui n’a de besoin que l’essentiel. Sans autre définition qu’être humain.

En 1 mois, un enfant qui ne parlait pas (4mots à son vocabulaire) et dont les grands spécialistes ont affirmés à la maman que les enfants atteints de cette maladie avaient très peu de chance de communiquer, a aujourd’hui 28 mots à son vocabulaire. A tâtons, il nous a aussi appris à le comprendre et à l’aider à émettre des sons. Ce n’est pas de la magie. C’est que pour la 1ère fois on lui permet de sortir de son anormalité, il est scolarisé normalement, au milieu des désignés conformes. L’homme se construisant aussi par mimétisme, cet enfant mime aujourd’hui l’humain, pas les pathologies qu’il a rencontrées dans des centres conventionnels où la normalité des autres reste sur le pas de la porte. J’ai plusieurs autres cas bien différents mais tout aussi édifiants.

Un instinct animal pour être plus humain. La diversité de l’espèce. L’Homme anormal, pléonasme scientifique prouvé. La seule norme que j’ai jamais comprise, c’est celle de la bêtise à se vouloir parfait, ou mieux, ou dans la vérité. J’accepte que ta réalité ne soit pas la mienne. J’accepte que tu ne sois qu’un humain.

SAROUT


Image

Je crois que c’est ici, au tout début, que j’écrivais que je n’avais plus de clés. Juste un anneau vide. Ca signifiait alors la fin de tout et le début du reste. Une famille sans domicile, sans travail, parachutée d’un pays à un autre. Aujourd’hui j’ai celle-ci, venue rejoindre celles d’un appartement. Elle ne sert pas à fermer. Juste à ouvrir. Ouvrir grand, autant que je l’ai rêvé. Peut-être même en mieux. Sûrement. C’est en vrai. je devais partir, quitter l’école où je travaille, aller dans une autre ville. Je parlais d’un fil rouge que je suivais et que je suis toujours. Ils n’ont pas voulu que je parte. Et puis tout jouait contre notre départ. Je vais donc rester. J’y ai mis une condition. Celle d’avoir assez rêvé. Je veux passer aux fondations. J’ai écris le projet en 1 journée. Ils m’ont dit « chiche! ». Je n’y ai pas cru. Mais tout s’est très vite enchaîné, prise dans un tourbillon. Depuis presque 3 mois chaque jour s’habille de surprise en forme de récompense de n’avoir jamais lâché, transigé, ou pire, capitulé. Qu’est-ce que j’ai tremblé. Mais elle est là cette clé. Elle m’ouvre aussi les portes de l’université. Grace à elle je vais enfin finir ce que j’ai commencé. Je vais étudier le plus beau des sujets, celui dont j’ai rêvé. Qu’est-ce que je tremble. On y est. Des utopies qui s’assemblent, une réalité qui se créé. J’en suis le maitre d’œuvre, terrorisée par la hauteur, j’ai peur de ne pas l’être, malish, j’irai avec le cœur.

J’avais le rêve d’une école, je réalise une classe. Je passais pour une folle, aujourd’hui j’ai enfin une place. Celle que je me suis faite, mes parents qui me lisent savent ô combien personne ne me l’a donnée. Et je voudrais tant qu’il mesure le bien que ça me fait, que les détresses ne sont que des temps passés, pas même des souvenirs. Je n’ai jamais été aussi vivante, transpirante d’avenir, presque capable d’imaginer un demain meublé d’expériences qui prennent enfin du sens, que je ne cherche plus à fuir.

En septembre, une école accueillant des enfants dit « normaux » accueillera des enfants qui le sont soi-disant beaucoup moins. J’ai crée une classe avec une salle de psychomotricité au sein d’une structure classique. Le développement pour la rentrée 2013 est déjà en gestation. Ca vous parait peut-être un tout petit rêve mais c’est le plus grand que j’ai, scolariser des enfants handicapés, leur éviter l’institut spécialisé par cette sacro-sainte normalité pour quelle serve à autre chose qu’à la dévastation des différences. Je vais même essayer de le prouver en jouant encore le jeu de l’université. A presque 37 ans je risque de me sentir vieille en photo sur une carte d’étudiant. Mais mes parents vous savez. Bien trop vieille avant l’âge, aujourd’hui j’ai tout la légitimité d’être trop jeune après…

Tout est encore en construction, mais j’ai les fondations. Je suis dans le mouvement, la marche en avant. Je ne vais plus me retourner, j’apprendrai  à me sentir forte. Aujourd’hui j’ai une clé. Une qui ouvre des portes.

KISSMI


J’ai un vrai plaisir à les retrouver. Toute la semaine. Le we je pense à eux. Faut dire que j’ai une classe peu banale. C’est tout ce qui fait son charme. J’ai 9 élèves. 7 enfants de 6 ans que la pensée commune qualifie de normaux. Un enfant de 5 ans en fauteuil roulant, très avancé avec une forte tendance à l’autisme. Un autre de bientôt 10 ans avec un grave retard mental aux dires des médecins. Ils doivent avoir raison. Je le vois différemment. Dans ma classe je mets tout le monde à l’heure. Les différences s’effacent comme par magie. Le nombre d’élèves me permet d’adapter le travail individuellement, d’avoir une réactivité essentielle dans le travail collectif m’adaptant chaque fois à leurs avancées, leurs difficultés. Toutes mes théories sur l’éducation se mettent en pratique d’une facilité déconcertante. Je ne suis pas formée pour être enseignante ayant toujours pris soin de rejeter le modèle IUFM. Les lectures de Bourdieu, Serres et d’autres moins connus mais de la même trempe m’ont menée sur un autre terrain de jeu. Je ne sais pas si la vie est une succession de hasards ou si les choses sont écrites et à vrai dire je m’en fous. Mais me retrouver là, dans cette classe, avec ce panel incroyable d’élèves, une école juive dans un pays musulman c’est juste la configuration parfaite pour continuer de comprendre et raviver cette envie d’apprendre que des années de chômage et de précarité avaient transformé en amertume au goût d’inachevé. J’ai à peu près toujours souffert de n’être jamais dans la bonne case croyant que les tiroirs ne servaient qu’à ranger slip et chaussettes, me sentant rarement à ma place avec un décalage dans mes réalités et les façons de voir les choses. C’est depuis peu que je ne prends plus ça pour une faiblesse. Ces décalages sont aujourd’hui ma force, me mettant enfin là où je dois être, dans le mélange impensable, la contradiction parfaite, l’anormalité pour norme. Mes journées sont devenues des pieds de nez aux consentis du monde tel qu’il est. Si vous saviez comme j’aime ça…Mais je ne vais pas rester. Rien que d’y penser j’ai le cœur qui s’arrache à moitié. Ça va. C’est la partie qui repousse. En dehors de ma classe cette école représentera je le pense 2 des plus belles années de ma vie. Surement pas les plus faciles. J’ai souvent compris que j’avais tort et je ne sais toujours pas si j’ai raison. Mais ce qui n’en avait pas a aujourd’hui un sens. J’ai appris les choses différemment pour les transmettre de la même manière. Et vous pouvez trouver ça prétentieux, je n’ai plus peur de le dire, ça marche. L’enseignement ne doit pas être autre chose qu’un outil d’émancipation, un pont entre la curiosité et l’envie, un souffle d’envie d’apprendre, apprendre que l’on n’en sait jamais assez. Quand je suis devant eux j’ai plus envie de m’imaginer en vieux sage d’un village africain, un de ces gardiens de la transmission orale qu’en diplômé ayant bien appris sa leçon. La raison est plus saine, la liberté y est moins illusoire et y a moins de finalités établies. Ce n’est que ma deuxième année mais je sais qu’elle n’a rien à voir avec la 1ère, le programme est complètement différent, la manière aussi et si je devais en faire une 3ème, ça n’aurait rien à voir non plus. Les élèves font le maitre, trop d’enseignants ont la prétention de croire au contraire ce qui explique en partie la rigidité de l’éducation nationale…

Dans tous les cas il faudra que je remercie les miens de m’avoir tant appris, d’avoir fait de moi cette enseignante heureuse et éphémère. Dans chacun j’ai trouvé une raison de poursuivre, de laisser la vie me bousculer une fois de plus et me laisser m’échouer quelque part, dans une autre ville, pour autre chose, avec cette confiance du fil rouge qui tend vers ce besoin de comprendre pourquoi certains sont tant cassés et cette envie de réparer parce que je l’ai été aussi. Et qu’on le peut. Même si on doit tout coller à l’envers ou même laisser des morceaux. Ca laisse des cicatrices c’est vrai. Le tout est de ne pas en faire des frontières, des tiroirs, à la place des slips et des chaussettes. De s’inscrire dans le monde et de le rêver sans frontières. Ses cicatrices. D’accepter qu’il est fou et sans raison souvent. Tant mieux, parfois. De le vouloir dans son ensemble plutôt que par quartier. Peut-être arriverons-nous alors à nous considérer.

Oeuvre réalisée par mes élèves à la manière de Fernand léger… Le résultat d’un travail qui pour le coup, efface les cicatrices…

LETTRE (ABSURDE) D’UNE FRANCAISE EN CIVILISATION INFERIEURE


Mr Guéant, je vous sollicite par la présente pour que vous m’apportiez quelques précisions sur vos derniers propos au sujet d’une échelle des civilisations. Je suis française, une vraie entendons-nous bien Mr Guéant, pas une de la 3ème ou 4ème génération qui beugle dans les manifs pour sans papiers. Non, non, une pure souche. J’ai bien à mon passif quelques militants communistes dans ma famille et d’anciens résistants mais je n’en suis pas moins française. Seulement je suis un peu gênée depuis vos propos qui ont bien voyagé jusqu’ici. Je vis au Maroc depuis bientôt 2 ans. Une longue histoire Mr Guéant qui m’a menée ici, vous êtes un homme occupé je vais vous la faire courte. Je suis venue voler le pain des arabes parce que ma civilisation privait mes enfants de soins et de nourriture. La misère de notre civilisation supérieure a fait descendre ma famille d’un barreau sur votre échelle. Et là vous comprendrez bien que mathématiquement votre échelle subit quelques ratés. Comment moi, blanche jusqu’au bout des ongles, française, ai pu me sentir à ce point reniée, bafouée, humiliée par mon propre pays au point de devoir le fuir pour survivre ? Mr Guéant, sauf votre respect, combien de familles dans notre grande et belle civilisation meurent à petit feu chaque jour un peu plus, écrasées par le poids du désespoir et de la résignation, rognées par le peur de demain non, déjà ce soir, pas celles qui connaissent une fin de mois difficile mais celles qui ne le commencent pas ? Et tout ces jeunes qui partent à l’étranger, qui passent à l’ennemi, car ils voient là-bas ce que la France n’a plus Mr Guéant, de l’espoir. Alors j’avoue que devant ce tableau, devant cette misère que notre belle civilisation fabrique j’ai du mal à élever le niveau par rapport à celui de cette civilisation inférieure dans laquelle je vis. Y a pourtant des bidonvilles partout, y a même aucune poubelle épargnée dans la ville de casa, toutes explorées, retournées pour un peu à manger. Ils font même ça devant tout le monde, en pleine journée, et y a même pas TF1 ou M6 pour en faire un reportage à la télé. Pour vous dire Mr guéant…
Et me voilà. Mes compétences que la France n’a pas voulues, le Maroc se les arrache. J’ai du travail. C’est tout ce que je souhaitais. Les indigènes m’en ont donné. Je viens voler leur pain. Déjà je trouvais difficile d’assumer les relents colonialistes de mes compatriotes expatriés, je ne peux assumer en plus le visage français hargneux, bête et raciste qui se dessine ici. Mais je vous l’accorde Mr Guéant, je ne suis pas une expatriée et je dois souffrir du complexe de l’immigré. Celui qui a envie de remercier tout le monde de la chance qu’on lui donne, celui chez qui l’espoir renait, celui qui veut pas faire de vague et qui veut s’intégrer, ces petites choses suspendues à des rêves, des petites choses qui veulent vivre plus longtemps. C’est vrai y en a beaucoup chez nous des petites choses du genre. Ils viennent avec leurs foulards et leurs prières, leurs odeurs et leurs traditions, comme moi je suis venue chez eux avec ma laïcité et mon athéisme, avec mes odeurs et mes traditions. Ici on appelle ça le mélange, chez nous on l’appelle la différence. Peut-on les graduer aussi Mr Guéant ? Les goûts et les odeurs ont-ils aussi une échelle de valeurs ? Je m’interroge…Je m’interroge aussi sur la barbarie dont vous parliez, celle de la prison du voile et l’affront des prières de rue. Je dois comprendre que non seulement je vis dans une civilisation inférieure qui plus est barbare ? Ca fait beaucoup pour une seule civilisation Mr Guéant non ? On ne peut pas choisir entre l’infériorité ou la barbarie ? Non ? Dommage. Ca nous laissait presque un espoir de nous entendre. Parce que j’ai beau regardé bien autour de moi, entendre l’autre hurler allah wak bar dans le micro 20 fois par jour, voir des femmes voilées et des mecs à genoux par dizaines dans la rue, je ne trouve pas la barbarie.
En plus d’un an ici je compte sur les doigts d’une main le nombre de femme portant le voile intégral. Faut dire que le gouvernement n’est pas sans arrêt entrain d’accuser l’autre d’avoir un dieu, de le prier de se conformer à des normes vestimentaires sorties tout droit de Zadig et Voltaire, fournisseur officiel d’un de vos collègues, et de faire passer sa religion pour la pire des infamies. Je comprends que ça puisse rendre un brin nerveux le croyant à force, pas vous ?…Ici y a des femmes voilées, des fois même assorties de mini jupe, y a des décoiffées ou des trop coiffées, dans une famille des soeurs peuvent faire des choix différents, l’une le mettra, l’autre pas, de toutes façons la question n’est pas là. Pas ici en tout cas. Elle l’est pour nous, qui avons pour modèle de femme libre la femme occidentale, toujours impeccable, bien habillée, bien maquillée, rentrant dans un 38 après 3 grossesses, capable d’élever 3 enfants, de diriger une entreprise et de faire cuire le rôti à temps. Le wonder woman du papier glacé. Celles des prothèses PIP qu’on rembourse alors que la moitié des français n’est même plus capable de se soigner les dents, celle qui se met toute nue pour nous vendre du savon, celle qui en politique ne doit pas être trop belle et qui ailleurs ne l’est jamais assez. Cette femme qui n’a que pour seule liberté de se comporter comme notre civilisation l’espère : libre mais à sa place. La encore Monsieur Guéant je l’inconvénient de ne pas être féministe, dans la famille des « iste » j’ai pris celui qui me semblait le plus logique, j’ai donc choisis humaniste. Je pense donc que la femme est un Homme comme les autres. Qu’elle prend sa part de liberté dans la définition qu’elle a choisi et que les interdictions ou tortures qui lui sont infligées ne sont pas l’œuvre de l’intégrisme religieux mais de la bêtise et de la cruauté dont est capable l’humain sur sa propre espèce. Les espèces Monsieur Guéant ! Une échelle de valeurs à vous suggérer qui malheureusement place la notre au bas de l’échelle. Aucune autre espèce que la notre, nous les humains, n’est assez bête pour se flinguer entre eux. Le poulpe serait-il donc supérieur à l’homme suivant cette échelle ? A réfléchir Mr Guéant, à réfléchir.
Quant aux prières de rues ça n’existent pas. Des gens qui sont obligés de prier dans la rue par manque de place dans les mosquées oui ça existe. Ce n’est pas la même chose. Dans le 1er je perçois une sémantique agressive, dans le second une relation de cause à effet. Pour ma part je suis bien moins agressée par une rue bloquée 10 mn que par sans abri qui bloque un pas de porte toute une nuit. La aussi existe-t-il une échelle Mr Guéant, graduée selon la formule mathématiques « nous n’avons pas 10 mn à perdre par contre nous pouvons perdre des gens sur les trottoirs » ?
Parlons-en des trottoirs justement. C’est vrai qu’ils sont tous cassés ici mais y a beaucoup moins de sans abris dessus qu’en France. Bizarre pour un pays bien plus pauvre que le notre. Quand j’ai demandé on m’a expliquée que la structure familiale est encore très primaire ici Monsieur Guéant ! Elle a une importance capitale. Ils gardent même leurs vieux à la maison c’est un comble ! Oui paraît-il que ça se fait pas de jeter père et mère à l’asile même si y a une connexion haut débit, que c’est barbare d’enfermer la vieillesse dans des mouroirs, que les vieux c’est la mémoire, la sagesse, la transmission orale, que l’on doit les garder près de nous, à la maison, être là le jour du grand voyage, s’occuper d’eux jusqu’au bout, un devoir, pour la vie qu’ils nous ont donné. Des bêtises Mr Guéant. Pas loin de l’islam intégriste encore cette histoire. Quand on sait quand même la rentabilité d’une maison de retraite alors là j’hésite plus. Nous sommes catégoriquement une civilisation supérieure, je rentre au pays et je deviens directrice de maison de retraite. Me restera plus qu’à surveiller les épisodes caniculaires et à espérer que le facteur frappe quelques fois à la porte voir si ça bouge toujours.

Mon raisonnement est absurde Mr Guéant je vous l’accorde. Il n’a d’égal que vos propos. Civilisation….je ne vous ferai pas l’affront de la définition. En même temps quand on sait qu’ils ont été tenu devant l’UNI, syndicat beaucoup trop scolaire, ressemblant aux manuels du même nom dans lesquels le colonialisme et l’esclavage n’ont pas retenu l’attention de l’éditeur, on comprend qu’il fallait faire grossier Mr Guéant…On a du mal à la réflexion en France vous savez.
Une anecdote vite fait. Une de vos collègues, du moins son escorte, a décanillé un piéton en roulant trop vite pour prendre un avion. De partout ça a polémiqué, Paul et mickey aussi d’ailleurs ! Mais je n’ai lu nulle part que décaniller des piétons ça peut arriver malheureusement. Par contre le fait qu’elle prenne un avion pour faire 400 bornes alors qu’une liaison tgv quotidienne est assurée ça c’est un scandale. On réfléchit mal Mr Guéant, du moins là où on nous montre et vous connaissez la suite, nous regardons le doigt, pas la lune…
Alors moi je sais plus où j’en suis avec toutes ces mesures inférieures ou supérieures. A l’arabe que je croise tout les jours je lui dis quoi Monsieur Guéant? Je l’appelle Monsieur ou je le traite de sous-merde ? Non parce que si vous me dites de l’appeler Monsieur alors à l’inverse je suis obligée de vous traiter de sous merde, principe de l’inférieur supérieur Mr Guéant.
Je crois que ça y est. J’ai fini ma lettre que vous ne lirez pas parce que c’est bien trop long et que personne n’aura ce courage et aussi parce je ne vous l’enverrai pas ce qui complique votre lecture. Juste que ça prend du temps l’absurdité Mr Guéant et que vous le savez. Vous vous amusez à tendre des pièges grossiers pour draguer l’innommable et finir en victime. Vous n’êtes pas un fasciste, tout juste une caricature de politicien. Mais dans ce que vous n’êtes pas selon vous, vous arrivez à blesser ceux qui sont. Peut-être n’êtes-vous pas raciste comme vous le prétendez mais au final je vous conseille de l’être. Car il est évident qu’avec de tels propos non seulement vous en passez pour un mais en plus vous passez pour un con. En le devenant vous pourriez au moins tenter de fuir à la seconde réalité.

Cordialement,

Une française en civilisation inférieure.

CHAJARA


Quand on regarde mon fils c’est flagrant. Les gestes, l’accent, le Maroc s’écrit sur sa peau. En 1 an il a énormément changé, laissant à la culture marocaine le soin de continuer de le façonner. Ça ne remplace pas son éducation occidentale, ça vient se rajouter comme un mélange épicé, une richesse des différences. Il est français. Il est marocain. Il est gascon. Il est gnawi. Il est tout ça, naviguant dans sa normalité, celle de fêter noël ou d’égorger le mouton dans sa maison, celle des appels à la prière et des appels à la révolte de sa mère, il est tout ça mon fils. Il se fabrique dans le contraste tranchant, dans la différence consentie, dans 2 cultures qu’il accorde à son « la » pour jouer sa partition. Il en est encore aux racines, nombreuses, elles ont besoin d’eau, beaucoup.

A regarder ses changements, j’en oubliais les miens. Mes racines commencent à avoir de la bouteille, l’arbre a bien poussé, j’ai moins besoin d’eau, plus imperméable à mon environnement, je croyais.

Une semaine avant l’Aïd mon quartier s’est transformé. La moitié des magasins de ma rue s’était vidé laissant place à des dizaines et dizaines de moutons. Le petit resto avec écrit chawarma abritait désormais la matière 1ère. Les proprios louaient pour la semaine aux maquignons de quoi loger les moutons. Le 1er matin où je suis sortie l’odeur m’a bouleversée. Ce n’était pas celle habituelle de la ville, c’était celle de ma campagne quand j’allais nourrir les brebis. Cette odeur qui parait repoussante et que j’étais si heureuse de retrouver. Je partageais le trottoir avec les moutons et les chèvres, je regardais les gens tâter le gigot, essayant d’imaginer la bête déshabillée. Puis ces autres qui s’étaient installés un peu partout avec meule inventive calée sur des vieux vélos d’appartements, le client vient avec ses couteaux, un coup de pédale et le tour est joué, les outils sont aiguisés. A leur place j’y ai vu mon grand père en bas, au pigeonnier, pendant que lui aiguisait, je pédalais. Pendant cette semaine j’ai opéré pas mal d’aller retour entre mes hier et mon aujourd’hui. Je suis une campagnarde qui pendant 1 semaine retrouvait dans la ville son terrain de jeu favori, la paille, le fumier et les bêtes. Mon aujourd’hui avait le goût de mes hier alors que tout ce qui m’entoure est leur contraire.

Est arrivé dimanche, veille de l’aïd. Il est d’usage de faire rentrer le mouton dans le garage ou la maison, j’habite dans un immeuble…Rien ne m’a dérangé, pas même le bruit et l’odeur…au contraire. Ils ont tourmenté et cajolé ma nuit. J’ai beaucoup rêvé de mon ancienne maison au milieu des champs, de l’étable juste à côté, de la forêt, de chez moi. Des rêves entrecoupés de réels bêlements, de vraies odeurs, c’était comme si j’étais sur le pont de liaison entre la réalité et le rêve, me regardant passer de l’un à l’autre. J’ai trouvé ça bizarre et ça m’a laissée une sensation étrange au réveil jusqu’à l’heure du sacrifice. En regardant le mouton se vider de son sang j’ai compris ce que je ressentais, ce n’étaient pas mon aujourd’hui ou mes hier, mon rêve ou ma réalité, c’était mon mélange, mon inter culturalité…Interculturalité. Un module étudié à la fac. Je viens juste de prendre la théorie en pleine gueule, c’est ce qu’on appelle la pratique. J’ai tué un mouton dans ma maison comme offrande à Dieu, je ne crois pas en lui. Je peux le comprendre. Vous expliquer serait trop long mais « le rite social dépasse souvent la religion » en serait la conclusion. Je veux juste vous dire la propreté et la rigueur du sacrifice. Je ne justifierai pas ce propos. Il devient sale seulement quand la croyance devient une effraction aux yeux de certains. Je ne justifierai pas celui-là non plus. Revenons à nos moutons.

J’aime arriver à comprendre ce que je ne comprenais pas, j’aime que mon occidentalité s’orientalise, s’imbrique dans une autre culture, sans s’effacer, sans se justifier, aidant parfois, compliquant souvent, s’ouvrant toujours. Je n’ai jamais aimé les certitudes qui sont souvent des résultats de l’ignorance, je peux vaciller, plier, je n’ai plus peur, j’ai des racines solides. C’est ça qu’elle m’apporte mon inter culturalité naissante, j’avais la solidité, arrive la souplesse, j’avais une normalité arrive une réalité. C’est bon le mélange quand on a des racines, c’est bon le mélange quand il n’est pas accusé.

Quand ce n’est pas le cas, c’est l’enfer de l’errance qui vous attend, errer, se chercher, comme tout ces mômes dans les cités qui ne sont que des caricatures d’eux mêmes. A peine si toi tu les considères français. A peine si eux y croient quand à la maison les parents, de juste droit, s’accrochent à leur culture, leurs odeurs, leur langue comme je le fais ici, chez moi. Condamnés aux délits de sales gueules, accusés d’illégitimes croyances, jugés avant d’avoir fauté, français mais devant le prouver, une culture dont ils voudraient s’émanciper, une autre qui souhaite les renier. Quelle place pour des racines ? Quel endroit pour se construire ? A la maison ? Face à des parents qui n’ont fait que réaliser les rêves que la France avait pour eux ? Face à la société qui aussi bien pensante et propre soit-elle continue de voir en premier le côté bronzé du français ? Comme se construire, trouver son identité, en accepter juste une quand on ne se sent légitime nulle part ?

L’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger) rencontre ici un nouveau problème depuis 4 ou 5 ans. Jusqu’ici complaisante dans son côté franchouillard paisible qui s’engraisse tranquillement, elle voit arriver des indigènes de la république venus troubler la passivité ambiante. N’ayant plus aucun contrôle sur leur gamin en France et juste avant la case prison, un schéma se dessine. La mère rentre au pays avec le petit délinquant à casquette dans l’espoir qu’ici ça ira mieux. Mais c’est tout le contraire qui se passe. A l’école c’est un carnage, il ne se sent pas intégré et encore moins français. Dans le quartier, il n’est pas intégré non plus et se sent encore moins marocain. Il lui reste quoi comme identité à part celle d’être ni l’un ni l’autre, celle de n’être rien si ce n’est qu’un quota télévisé, une prévision de l’échec ? Et ça continue de surprendre, de questionner, mais pourquoi sont-ils intenables ces sauvages ?

Mais qui leur donne le droit d’exister monsieur ? Qui leur donne cette légitimité d’être français ? La France est multiculturelle certes et c’est tant mieux. Mais elle est aussi devenue interculturelle. Et c’est peut-être ça la réponse à la question qu’elle se posait sur son identité. Des racines solides qui doivent être aujourd’hui capable de souplesse. D’accepter que le tronc de son arbre se garnisse aussi d’écorces d’ailleurs, que ses bourgeons n’ont pas la même couleur, que ses branches ne pointent pas le même dieu et que les feuilles tombées ne sont que piétinées.

NAKAZ


Le fourgon est juste devant. A l’intérieur un semblant de vie en suspens. Je viens de vider ma maison. Ce bout de campagne que j’aime comme un amour. Des années que je l’écoute, lui parle, le respire pour le laisser là sans un ailleurs. Je traverse ce bout de forêt pour la dernière fois. J’y ai vu grandir mon enfant. Les arbres, les herbes et les champs sont aussi ses parents. Je suis le fourgon. Ma petite route. 5km de virages et de trous au milieu de rien. Ne l’empruntent que ceux qui ont le courage de se border sur le côté. J’ai mal aux tripes. Je ne sais pas si je m’en remettrais. Puis Toulouse. Dire au revoir. C’est si dur. L’avion, il décolle. Je m’effondre en faisant semblant d’aller bien. J’ai 2 enfants assis à côté. Sans maison. Je mets les larmes sur le compte des  « au revoir ». C’est loin d’être faux. Mais je suis surtout dévastée par la peur, je prends en pleine face la conscience d’avoir réduit ma famille à rien ou si peu, à l’espoir. Je n’ai pas d’école pour eux, pas les moyens de la payer, pas de maison, pas de travail, pas d’argent, rien. Tout l’argent a servi à payer l’aller, y en a pas pour l’atterrissage et encore moins pour le retour. Les larmes coulent, je suis un pantin manipulé par la peur, je ne contrôle plus rien. J’évalue par le hublot la distance du point d’impact, la longueur de la chute. Putain c’est haut !

 

Et c’est de là que j’ai sauté, en famille, sans parachute. C’était il y a 1 an et  6 jours. J’aurai voulu faire le « billet-anniversaire »  à la date anniversaire mais je ne sais pas quoi vous dire. Cette année en compte 10. Ma tête en compte 20, mon cœur ne compte pas, mes tripes ne comptent plus. Je sais que j’ai inévitablement changé. Dans quel sens ? Comment ? Pourquoi ? Je n’en sais rien. Ou pas encore. J’ai vu 4 jours mes parents cette année et pour ça je leur demande pardon, je fais de mon mieux mais je sais qu’il faut mieux faire. Des mots d’une autre langue s’incrustent dans le quotidien de la mienne. L’interculturalité m’a prise sous son aile pour m’apprendre ce que je ne suis plus, je sais que le dernier chapitre s’appelle « qui je suis », c’est un gros livre, je crois que la mutation va être longue. Mon rapport à la religion n’est plus le même. Heureusement. Je crois. Je me pensais tolérante, ouverte d’esprit. Je me suis trompée. J’y travaille. J’ai aussi appris que je ne pourrais jamais croire en un Dieu en tant que créateur, en tant que quoi que ce soit d’ailleurs. Je suis trop prétentieuse pour m’imaginer sujet. Mais aujourd’hui je conçois mieux l’utilité d’un Dieu pour d’autres. Mon rapport à l’autre non plus n’est plus le même. Je crois que j’accepte enfin d’être asociale. Au final ça n’empêche pas la rencontre et l’échange et ça permet l’appréciation des choses éphémères… Je vais pas m’étaler sur le bilan, de toutes façons ce n’est pas encore son heure, c’est bien trop tôt. Je pense que je vais bien et je vais vers le mieux en mieux. Les envies reviennent, les projets aussi. J’ai moins peur et j’aime ce pays.

Dans tout ça, dans toutes ces urgences, je me suis souvent posée la question de mon indignation, de ma colère sur ce monde à l’agonie, de mon pays si affligeant, ces sentiments qui me permettent de rester à l’affût de la bêtise et de la résignation. Je ne peux pas le nier, ils sont moins fougueux, y a plus assez d’illusions pour ça. Mais même s’il n’y a qu’un gramme de justice ou une miette de dignité, c’est ce que mon ventre voudra manger, aujourd’hui et demain.

Depuis que je suis partie et même un peu avant d’ailleurs, quand je regarde vers la France, mon ventre crie famine. Pas un gramme, pas une miette. Beaucoup pensent que ça va bouger en 2012. Mais le temps sera perdu à élire une image publicitaire élaborée sur Twitter ou Facebook,  financée par le FMI et la banque mondiale. De droite ou de gauche, le pantin devra répondre au cahier des charges rigoureux, austère, jusqu’à ce que tu comprennes que la charge c’est toi. Et pourtant si vous saviez comme il est aimé ce pays ici, tellement qu’il me le réapprenne. Je les écoute me parler de ses combats qu’ils connaissent mieux que la plupart de nos bacheliers, je les écoute me parler de sa beauté, de son asile, de ses droits de l’homme, de ses retraites, de sa sécurité sociale, et le reste, c’est vrai que c’était tout ça mon pays. Il avait la prétention de sa fierté. Aujourd’hui il est juste fier d’être sans prétention. Une élection, une mascarade démocratique quand on sait qu’ils ont tous le même bac à sable et qui le remplit. Mais ça suffit, ça suffira, à pas oser regarder par le hublot pour évaluer le point d’impact, la longueur de la chute. C’est dommage. C’est beau en bas. Puis l’avantage c’est que quand tu y es et si possible vivant, tu peux enfin regarder en haut. Faut juste sauter. Sans parachute. Oui. Le candidat pour qui tu votes l’a déjà surement vendu…

MI CASA…


Ce diaporama nécessite JavaScript.