Ou un journal presque intime…

Archives de septembre, 2011

NAKAZ


Le fourgon est juste devant. A l’intérieur un semblant de vie en suspens. Je viens de vider ma maison. Ce bout de campagne que j’aime comme un amour. Des années que je l’écoute, lui parle, le respire pour le laisser là sans un ailleurs. Je traverse ce bout de forêt pour la dernière fois. J’y ai vu grandir mon enfant. Les arbres, les herbes et les champs sont aussi ses parents. Je suis le fourgon. Ma petite route. 5km de virages et de trous au milieu de rien. Ne l’empruntent que ceux qui ont le courage de se border sur le côté. J’ai mal aux tripes. Je ne sais pas si je m’en remettrais. Puis Toulouse. Dire au revoir. C’est si dur. L’avion, il décolle. Je m’effondre en faisant semblant d’aller bien. J’ai 2 enfants assis à côté. Sans maison. Je mets les larmes sur le compte des  « au revoir ». C’est loin d’être faux. Mais je suis surtout dévastée par la peur, je prends en pleine face la conscience d’avoir réduit ma famille à rien ou si peu, à l’espoir. Je n’ai pas d’école pour eux, pas les moyens de la payer, pas de maison, pas de travail, pas d’argent, rien. Tout l’argent a servi à payer l’aller, y en a pas pour l’atterrissage et encore moins pour le retour. Les larmes coulent, je suis un pantin manipulé par la peur, je ne contrôle plus rien. J’évalue par le hublot la distance du point d’impact, la longueur de la chute. Putain c’est haut !

 

Et c’est de là que j’ai sauté, en famille, sans parachute. C’était il y a 1 an et  6 jours. J’aurai voulu faire le « billet-anniversaire »  à la date anniversaire mais je ne sais pas quoi vous dire. Cette année en compte 10. Ma tête en compte 20, mon cœur ne compte pas, mes tripes ne comptent plus. Je sais que j’ai inévitablement changé. Dans quel sens ? Comment ? Pourquoi ? Je n’en sais rien. Ou pas encore. J’ai vu 4 jours mes parents cette année et pour ça je leur demande pardon, je fais de mon mieux mais je sais qu’il faut mieux faire. Des mots d’une autre langue s’incrustent dans le quotidien de la mienne. L’interculturalité m’a prise sous son aile pour m’apprendre ce que je ne suis plus, je sais que le dernier chapitre s’appelle « qui je suis », c’est un gros livre, je crois que la mutation va être longue. Mon rapport à la religion n’est plus le même. Heureusement. Je crois. Je me pensais tolérante, ouverte d’esprit. Je me suis trompée. J’y travaille. J’ai aussi appris que je ne pourrais jamais croire en un Dieu en tant que créateur, en tant que quoi que ce soit d’ailleurs. Je suis trop prétentieuse pour m’imaginer sujet. Mais aujourd’hui je conçois mieux l’utilité d’un Dieu pour d’autres. Mon rapport à l’autre non plus n’est plus le même. Je crois que j’accepte enfin d’être asociale. Au final ça n’empêche pas la rencontre et l’échange et ça permet l’appréciation des choses éphémères… Je vais pas m’étaler sur le bilan, de toutes façons ce n’est pas encore son heure, c’est bien trop tôt. Je pense que je vais bien et je vais vers le mieux en mieux. Les envies reviennent, les projets aussi. J’ai moins peur et j’aime ce pays.

Dans tout ça, dans toutes ces urgences, je me suis souvent posée la question de mon indignation, de ma colère sur ce monde à l’agonie, de mon pays si affligeant, ces sentiments qui me permettent de rester à l’affût de la bêtise et de la résignation. Je ne peux pas le nier, ils sont moins fougueux, y a plus assez d’illusions pour ça. Mais même s’il n’y a qu’un gramme de justice ou une miette de dignité, c’est ce que mon ventre voudra manger, aujourd’hui et demain.

Depuis que je suis partie et même un peu avant d’ailleurs, quand je regarde vers la France, mon ventre crie famine. Pas un gramme, pas une miette. Beaucoup pensent que ça va bouger en 2012. Mais le temps sera perdu à élire une image publicitaire élaborée sur Twitter ou Facebook,  financée par le FMI et la banque mondiale. De droite ou de gauche, le pantin devra répondre au cahier des charges rigoureux, austère, jusqu’à ce que tu comprennes que la charge c’est toi. Et pourtant si vous saviez comme il est aimé ce pays ici, tellement qu’il me le réapprenne. Je les écoute me parler de ses combats qu’ils connaissent mieux que la plupart de nos bacheliers, je les écoute me parler de sa beauté, de son asile, de ses droits de l’homme, de ses retraites, de sa sécurité sociale, et le reste, c’est vrai que c’était tout ça mon pays. Il avait la prétention de sa fierté. Aujourd’hui il est juste fier d’être sans prétention. Une élection, une mascarade démocratique quand on sait qu’ils ont tous le même bac à sable et qui le remplit. Mais ça suffit, ça suffira, à pas oser regarder par le hublot pour évaluer le point d’impact, la longueur de la chute. C’est dommage. C’est beau en bas. Puis l’avantage c’est que quand tu y es et si possible vivant, tu peux enfin regarder en haut. Faut juste sauter. Sans parachute. Oui. Le candidat pour qui tu votes l’a déjà surement vendu…