Ou un journal presque intime…

Archives de août, 2014

AMAL


Je tourne dans le salon. Comment leur dire ? Comment leur demander ? Vont-ils comprendre ? Je les entends rire. Je m’apprête à leur ôter tous leurs repères. 11 et 7 ans. J’ai les entrailles qui s’arrachent. Leur vie est déjà compliquée et dans 5 mn je vais les pousser dans le vide sans billet de retour. Ils doivent tout vendre, tout leurs jouets, ne garder que l’indispensable. On doit partir, se sauver, au sens propre du terme. Je n’ai aucune réponse aux questions qu’ils poseront. Je ne sais pas où on va vivre, je ne sais pas où ils iront à l’école, si même ils iront, je ne sais pas si je trouverais du travail. Je sais juste qu’on a plus d’avenir possible ici. Que papa, maman crèvent à petit feu. Qu’on ne supporte plus cette survie, cette faim, cette fin. On doit tout vendre, juste pour acheter des billets, partir, vite, sans réfléchir, jouer le tout pour le tout avant le dernier souffle de courage.

Cet été là je les ai trainés dans tous les vides greniers de la région. Ils regardaient leurs habits, leurs jouets, leurs souvenirs passer aux mains d’étrangers. J’essayais de rendre léger, de les faire jouer aux aventuriers. Ca marchait presque. Des fois. Pas souvent. Pas longtemps. J’ai réduit leur vie à un sac chacun. Un fois dans l’avion, j’ai pleuré tout le long. Je ne crois pas avoir autant pleuré de ma vie. Je leur disais que j’étais juste un peu triste de quitter la France mais j’étais juste terrorisée, tétanisée.

C’était il y a 4 ans. J’ai l’impression d’une éternité même si ce souvenir est gravé jusqu’à la moindre couleur, à la moindre odeur.

Ces 4 dernières années n’ont pas été simple, 6 déménagements, des pas en avant, bien plus en arrière mais je voyais la lumière au fond du couloir alors que là d’où je venais, tout était noir.

4 ans. Je commence juste à mettre ma famille à l’abri. Ils ont 15 et 11 ans maintenant. Je les trouve fabuleux. Ils ont vécu des choses que peu de gens osent vivre. Je les trouve courageux. Jamais ils ne se sont plainds. Jamais. Jamais ils ne réclamaient, ne s’impatientaient. Jamais. J’ai l’impression que rien ne peut les détruire aujourd’hui. Ils ont une force hors du commun. Mon fils a un regard tellement spécial sur le monde. Sa lucidité parfois m’effraie mais je sais que grâce à elle, il s’égarera surement mais retrouvera son chemin et mieux, il posera lui-même ses balises.

Si aujourd’hui je réalise mon rêve, que le frigo est plein demain, après demain et surement le mois prochain, c’est que je leur dois beaucoup.

4 ans. Je suis heureuse. Je vis la vie que j’ai toujours voulu. Je suis mon propre maitre, mes rêves démesurés sont aujourd’hui des projets bien avancés. Alors c’est ce que je leur dit. Envoyez chier le monde entier, cramez votre vie à grands coups d’envies, révez grand, démesuré, ne décrochez pas la lune, pensez juste à l’admirer. Mes enfants, la vie n’est rien d’autre que ce qu’on en fait.