Ou un journal presque intime…

Archives de novembre, 2012

3ÂDI


J’aime ce pays. Vraiment. Mais depuis que ma classe est ouverte je prends ses décennies de retard dans la gueule et m’oblige à affirmer que si la foi individuelle peut être belle Dieu n’a pas à gérer les parties communes.

Il n’est pas rare qu’ici des enfants « différents » soient cachés sous des lits, dans des placards pour d’obscures raisons qui ont l’air de trouver leur légitimité dans l’existence d’une punition divine. Dieu punit par l’anormalité, l’handicap ainsi châtiment. La bienséance veut que parfois l’on en parle au gouvernement, qu’une ou 2 structures façon gardiennage voient le jour, où la seule ligne pédagogique suivie est d’essuyer les baveux régulièrement. Insuffisant. Nettement. Je pense à la France. Même encore embourbée dans des restes d’éducation chrétienne, l’anormal a une chance. Alors je réfléchis au modèle français, celui que je pense encré dans l’émancipation de tous et du respect de chacun. Quelle idée je peux prendre de mon pays pour essayer ici ? Il doit bien y en avoir une. Mais aucune ne me va. Chacune compartimente, classe, enferme, étiquette, normalise, selon sa convention. Conventionnel. Aucune n’est assez folle. Chacune à cœur d’adapter un sujet à la société. Aucune impétueuse pour faire le contraire. Ne vous méprenez pas. Ce n’est pas seulement une critique. Je rencontre des cas pour lesquels je rêve d’être en France pour avoir un peu d’aide, du soutien. Mais je veux continuer de rêver grand et espérer anéantir d’un souffle l’anormalité divine ou sociétale, n’ayant pas l’impression qu’elles soient si différentes l’une de l’autre… La finalité est la même. Le jugement du handicap comme critère d’anormalité. Et pour le vivre tous les jours, pour avoir cette chance du mélange, de la normale anormalité, je ne sais plus qui ne correspond pas aux normes, qui est malade ou non. Les rôles s’inversent souvent. Chacun de son talent ouvre une voie vers la seule vérité de notre espèce humaine, avec ses faiblesses, ses handicaps, ses obstacles, ses forces, ses imperfections qui font de nous des êtres uniques, tous à un moment ou un autre handicapés.

Je tentais d’expliquer y a pas si longtemps comment je ressentais mon travail. J’y amène rarement ma conscience, la pluralité des personnalités qui comble mes journées ne me le permet pas. Je ne peux même pas adapter un seul modèle de communication, sans cesse à tâtons, tantôt par gestes, parfois par sons, n’oubliant pas les paroles, des regards comme des livres, des apprivoisements, des rejets, des cris, de silence, toujours à l’écoute. Chacun son territoire, pour tous un droit de passage sans ultimatum ni frontières, tout le monde s’apprend, s’étudie, effaçant les différences par le besoin de l’acceptation. Tout ça se fait de manière très instinctive, très animale, les sens en éveil. La tête en sommeil. Le nom des maladies s’oublie, les handicaps disparaissent, ne reste plus que la base de l’espèce : l’humain. Celui qui n’a de besoin que l’essentiel. Sans autre définition qu’être humain.

En 1 mois, un enfant qui ne parlait pas (4mots à son vocabulaire) et dont les grands spécialistes ont affirmés à la maman que les enfants atteints de cette maladie avaient très peu de chance de communiquer, a aujourd’hui 28 mots à son vocabulaire. A tâtons, il nous a aussi appris à le comprendre et à l’aider à émettre des sons. Ce n’est pas de la magie. C’est que pour la 1ère fois on lui permet de sortir de son anormalité, il est scolarisé normalement, au milieu des désignés conformes. L’homme se construisant aussi par mimétisme, cet enfant mime aujourd’hui l’humain, pas les pathologies qu’il a rencontrées dans des centres conventionnels où la normalité des autres reste sur le pas de la porte. J’ai plusieurs autres cas bien différents mais tout aussi édifiants.

Un instinct animal pour être plus humain. La diversité de l’espèce. L’Homme anormal, pléonasme scientifique prouvé. La seule norme que j’ai jamais comprise, c’est celle de la bêtise à se vouloir parfait, ou mieux, ou dans la vérité. J’accepte que ta réalité ne soit pas la mienne. J’accepte que tu ne sois qu’un humain.